Portrait Mouv’Outremer- Martinique: Annick Comier, Adapter la pratique ancestrale du « Lasoté » à une gouvernance politique.
40 porteurs de projets très prometteurs et à impacts visant à accélérer les transitions vers des territoires durables, sur des thématiques très variées répondant aux besoins des territoires, ont été sélectionnés dans le cadre de l’appel à candidatures lancé par l’AFD et le Ministère des Outre-mer. Outremers 360 vous présente l’un de ces porteurs de projets: Annick Comier, maire de la commune rurale de Fonds Saint Denis à la Martinique ambitionne de dévélopper des actions citoyennes dans sa commune en s’appuyant sur la pratique du « Lasoté ».
Pouvez-vous vous présenter et nous décrire votre parcours ?
Je suis Maire de la commune de Fonds St Denis, commune de 730 habitants, rurale de surcroit, avec une végétation riche, abondante, exubérante. C’est l’un des poumons verts de la Martinique. C’est une commune à vocation agricole. Ma prise de poste est très récente. J’ai été élue le 15 mars 2020. Avec la phase de transition liée au 1er confinement, ma prise de fonction effective a été le 23 mai 2020. Je suis agent de la fonction publique territoriale, auprès de la Collectivité Territoriale de Martinique. Mes domaines d’expertise : le développement local, une bonne connaissance du tissu agricole et du développement agricole en Martinique. Ce dernier est un sujet passionnant mais quelque peu frustrant car en Martinique, la question du développement agricole est un sujet quidevrait être plus considéré qu’il ne l’est. Ce qui m’a amené à la politique: il y a 2 ans, j’ai été interpellée par des administrés sous la forme « pourquoi ne pas.. », à ce moment-là je n’ai pas bougé. Mais en 2019, j’ai à nouveau été interpellée par une nouvelle administrée, ce qui m’a décidé, car la demande est venue de la population de mener une action politique pour la commune. Je suis originaire de Fonds de St Denis, j’y ai vécu toute ma vie. Du haut de mes 49 ans, je n’ai laissé la commune que 4 années, le temps de faire mes études supérieures en Hexagone mais tout le reste de mon parcours scolaire/ étudiant en Martinique.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de postuler de vous inscrire à la formation Mouv’outremer ?
Je suis de formation agricole, j’ai eu aussi à faire une formation en ingénieure du développement de territoire, du coup les missions de l’AFD en Afrique méditerranéenne je les connais. Le contenu de la formation correspondait à notre programme politique. Il y avait une réelle cohérence avec les actions que nous prévoyons au sein du programme
Quel est le projet que vous allez déployer avec le dispositif Mouv’outremer ?
Mon projet initial était la valorisation des terres incultes. L’idée était d’accompagner les populations sur l’exploitation des terres incultes et leur partage car ces terres sont souvent en indivision. Il est donc important d’accompagner la population sur ces questions, de la former, de faire en sorte que les décisions soient prises ensemble et servent au plus grand nombre. Avec à l’issue du processus une valorisation des terrains soit par la mise en location des terrains, soit par une exploitation agricole ou simplement de l’entretien de parcelles et de la récolte de fruit, ou la mise en place de sentiers de randonnée. C’était mon objectif de départ. Mais petit à petit, je me suis rendue compte qu’il ne fallait pas mettre la charrue avant les bœufs et qu’il y a d’autres étapes importantes à mettre en place pour arriver à cela. Avant de travailler sur des actions aussi concrètes, engageantes et complexes que l’indivision, il faut déjà avoir mis en place un système de gouvernance partagée solide et ancré, installer une dynamique collective pour ensuite mettre en œuvre les projets. Pour y arriver, il faut impulser une dynamique citoyenne, que la population considère la commune comme la sienne, qu’elle se l’approprie, qu’elle se sente actrice de son territoire. C’est d’ailleurs une action que j’ai impulsée pendant ma campagne pour les élections et c’est l’une des raisons pour lesquelles je mesuis impliquée en politique. J’étais agacée par les discours politiques habituels qui font croire aux populations qu’elles sont dépendantes des actions publiques.
Mon projet in fine n’a donc pas changé, mais j’ai recentré mes priorités. Mon objectif aujourd’hui, avant de travailler sur le contenu des projets, est de faire de l’action citoyenne : expliquer ce qu’est une collectivité, un conseil municipal, les différents champs de compétences etc pour contribuer à cette appropriation. Par quoi est-ce que ça passe ? Ca passe par des réunions publiques, unecommunication régulière (flyers, bulletins municipaux, affichages), via des consultations publiques également pour que les décisions ne soient pas prises uniquement par le conseil. Cette actioncitoyenne ne se limitera pas uniquement à de la consultation mais suscitera une vraie implication de la population dans le développement du territoire.
Pour Mouv’outremer, je vais un peu plus loin pour dérouler et construire mon projet de sortie de formation. Je garde le même cadre d’action citoyenne, mais je centre encore plus mon action, enprenant comme angle d’approche une pratique ancestrale, le « Lasotè », qui se traduit par « coup de main, en entraide ». Je veux réactiver, adapter et appliquer cette pratique à une gouvernancepolitique. Aujourd’hui les ressources de la collectivité vont en diminuant tandis que les besoins vont en augmentant. Notre objectif à travers cette pratique ancestrale, est d’en faire un cadre, un outil de réappropriation de la commune, du territoire par ses habitants et faire en sorte que la population devienne acteur des décisions prises au niveau de la commune, ainsi qu’acteur du développement de la commune. En faisant attention toutefois à l’équilibre décisionnel, la décision finale appartenant tout de même au Conseil Municipal.
Comment est-ce que vous reliez cela aux objectifs de Mouv’outremer sur le développement durable?
De deux façons différentes. A travers ce projet il s’agit selon moi de permettre à une commune d’être résiliente, de faire face à ses difficultés, donc ses vulnérabilités, et notamment la baisse desressources, la gestion des collectivités, la gestion des risques. En renforçant le collectif et la conscience du collectif en terme de responsabilités partagées on s’appuie sur les forces vives et on permet une meilleure action et une meilleure résilience. Cela rejoint le « zéro vulnérabilité et le zéro exclusion » du dispositif. Par ailleurs les projets qui seront menés à travers cette dynamique, comme
celui de la valorisation des terres incultes, l’agriculture ou la mise en place de sentiers de randonnée verts s’inscrivent directement dans la valorisation du patrimoine et la protection de l’environnement.
Qu’est-ce que qui vous a amené à prendre conscience qu’il fallait réorienter ou prioriser différemment la construction de votre projet ?
Cela s’est fait à travers les supports et les contenus de cette première partie de formation, notamment sur les ODD et la structuration de projet que l’on a eu. C’est également aussi l’exemple d’une autre collectivité qui est dans la même dynamique citoyenne. Leur dynamique citoyenne n’est cependant pas aussi poussée que celle que je souhaite mettre en œuvre. Ils ont plus de moyens financiers que nous (notre dotation annuelle de fonctionnement est limitée), donc notre marge de manœuvre est faible en termes de trésorerie. Il est impératif pour nous de trouver des ressources ailleurs. Partant de là, la dynamique citoyenne est une nécessité pour nous : on peut mobiliser la population sur des actions bien précises comme remettre en place la pépinière de la commune, octroyer des espaces à aménager à la population, en lien avec les ODD. Pendant le 1 er séminaire présentiel de Mouv’outremer, le groupe a fait une visite terrain dans notre commune, ils ont pu assister au labour collectif d’une parcelle en vue de la mise en place de culture. Par le passé cette notion d’entraide autour du Lasotè faisait partie prenante du fonctionnement de la communauté. Par exemple, la population se regroupait l’après-midi et si l’un d’entre eux avait une parcelle à labourer, les voisins venaient l’aider puis c’était le tour de quelqu’un d’autre. La pénibilité de la tâche était réduite du fait du collectif pour mener une action bien précise.
La problématique de main-d’œuvre à recruter ne se posait pas car la valeur travail était partagée au sein de la population. C’est ainsi que se sont développées le principe des tontines pour les funérailles: toute la communauté s’associe pour financer des funérailles décentes. Ces tontines aujourd’hui se sont transformées et sont devenues des mutuelles décès.
Maintenant, concernant ces actions à mener avec la population, je me pose encore un certain nombre de questions : jusqu’où il est possible d’aller dans la démarche ? Mobiliser la population pour
les décorations de Noel dans la commune pourrait être un moyen de compenser le manque de fonds de la commune, en plus du faire ensemble. Mais il y a quand même un risque : comment intégrer tout cela dans le patrimoine de la commune si cela a été donné à la commune ?
Qu’est-ce que vous attendez de la formation pour accomplir tout cela ?
La formation m’a aidé à prendre conscience et à identifier les limites. Savoir jusqu’où aller dans cette démarche : obligations légales, données juridiques, responsabilités… J’ai réalisé que toutes cesquestions sont à étudier et envisager. La formation, à travers les échanges avec les uns et les autres, m’a apporté un regard extérieur. La visite terrain dans ma commune et une mini conférence animéepar mon adjoint notamment a permis des échanges fructueux qui sont venus enrichir notre projet.
Ce regard extérieur a permis de nouvelles idées, fait émerger de nouvelles possibilités et m’a donné envie d’approfondir d’autres aspects non envisagés jusqu’alors sur le projet. Jusque-là pour moi tout était possible et je n’avais pas pensé aux limites. L’implication de la population dans la gouvernance se limitait à des communications, partant du principe par ailleurs que tout administré doit savoir ce qui se passe dans la commune. J’ai pris conscience qu’il y avait des limites à prendre en compte, autant sur les informations à partager que sur les modes d’animation ou la capacité des uns et des autres à intégrer la dynamique.
Le contenu pédagogique de la formation est également une source d’enrichissement. C’est le contenu sur les ODD qui me nourrit en ce moment, je récolte des informations qui me permettent
d’amender le projet. Une fois compilées, il faudra redéfinir et creuser des axes d’intervention. La formation m’a permis par ailleurs de structurer et questionner de façon intéressante mon projet et mon approche et de réorganiser l’information en ma possession et les actions qui en découlent.
Quelles seraient tes prochaines étapes ? Tes prochains défis ?
Compiler les informations, les organiser , pour avoir une meilleure vision sur la façon de mener le projet ; je sais où je veux arriver et d’où je pars mais je dois définir le contenu entre les deux. Le 2 ème séminaire devrait m’apporter des outils intéressants.
J’aimerais sortir de la formation avec un livrable, un projet, une solution d’accompagnement pour la collectivité. J’attends de la formation qu’elle m’aide à formaliser tout cela, à rédiger un projet complet. J’ai pu rencontrer d’autres acteurs de l’AFD Martinique, et on a pu discuter de synergies possibles, l’un des projets de l’agence locale étant d’accompagner les collectivités dans la mise en place de nouveaux modèles de développement. L’une des participantes de Mouv’outremer, formée sur la démocratie participative, nous a donné des éléments de compréhension vraiment utile, et une séance de travail est prévue avec elle. La communauté, avec tous les porteurs de projet est vraiment riche. Le gros apport de la communauté c’est la mise en réseau.
Ton rôle, ton impact au sein de cette communauté ?
La visite terrain et ce que j’ai pu partager de ma vision a eu un impact fort auprès des autres porteurs de projet. Certains m’ont dit que cela leur redonnait espoir sur une gouvernance politique différente,que cela amenait un message différent, avec plus d’espoir. Du coup aujourd’hui, certains se posent la question d’une autre politique et de leur engagement. Aujourd’hui ils se posent la question : « qu’est–ce que je peux faire moi, en tant qu’acteur des transitions durables pour participer à la vie politique et faire en sorte que ça change ? » et ceci à leur niveau, dans leur commune. Nombreux sont ceux qui vont avoir envie d’agir en se demandant comment agir. On a tous une vision sur le développement durable mais on ne s’implique pas pour autant pour se faire entendre. Cela vient rejoindre les objectifs de Mouv’outremer : faire en sorte que l’on puisse avancer dans un monde meilleur, avec un respect pour l’humain, en mettant l’humain au centre de toute chose !
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