Portrait Mouv’Outremer – Martinique : Claude Titina, « initier un mouvement des entreprises d’outre-mer en faveur de la création « d’aires de détente et de jardins créoles écoresponsables »
40 porteurs de projets très prometteurs et à impacts visant à accélérer les transitions vers des territoires durables, sur des thématiques très variées répondant aux besoins des territoires, ont été sélectionnés dans le cadre de l’appel à candidatures lancé par l’AFD et le Ministère des Outre-mer. Outremers 360 vous présente l’un de ces porteurs de projets. Aujourd’hui, nous allons en Martinique, à la rencontre de Claude Titina qui souhaite promouvoir la création« d’aires de détente et de jardins créoles écoresponsables dans les entreprises.
Qui êtes-vous ? Quel est votre parcours ?
J’ai tout d’abord fait des études d’Econométrie et de Commerce International à Paris I Panthéon Sorbonne (Bac +5). J’ai ensuite passé plus de 25 ans à Paris, dans le marketing et la communication ou j’ai occupé plusieurs postes dans le conseil (consultante senior, directeur conseil, directeur de département corporate) et dans l’opérationnel (Responsable Communication, Directeur Développement Marketing puis Conseil auprès de dirigeants (Médiamétrie, Groupe Largardère, Groupe Thuasne, Air France etc.) ; une expérience variée, qui m’a permis de très bien connaître le monde de l’entreprise.
J’ai fait partie des Etats Généraux de l’Outre-mer, qui avaient déjà à l’époque un axe Développement Durable. Suite à la crise de 2008, forte de mes compétences en partenariats et en lobbying, j’ai décidé d’apporter cette expertise au service de ma région d’origine : la Martinique.
J’ai démarré mi 2009 en tant que Déléguée générale de Contact-Entreprises (Association de chefs d’entreprise), pour laquelle j’ai organisé une conférence avec Guy Carcassonne, professeur de droit constitutionnel renommé. Nous étions alors à la veille d’une consultation sur le statut institutionnel de la Martinique puis en 2010, j’ai accepté une mission au Conseil Régional de Martinique puis intégré l’AMPI (Association Martiniquaise pour la Promotion de l’Industrie) puis en 2012 en tant que chargée de mission. Toute cette expérience professionnelle s’est combinée avec une attirance naturelle pour notre nature riche, notre biodiversité et nos jardins depuis mes jeunes années. Toutefois, c’est surtout le contexte multi facteurs (la crise sanitaire, l’opportunité Mouv’outremer et ma sensibilité personnelle aux transitions) qui m’a permis de cheminer vers le thème de mon projet. Aidée en cela par la nécessaire prise de recul et les ressources autour de la transition écologique offertes par la formation Mouv’outremer.
Quel est le projet pour les transitions durables que vous portez ?
Le but de mon projet est d’initier un mouvement des entreprises d’outre-mer en faveur de la création « d’aires de détente et de jardins créoles écoresponsables », dans une dynamique RSE. Mon ambition est d’abord de susciter l’adhésion au projet, puis d’accompagner les chefs d’entreprise qui se laisseront tenter par l’aventure, jusqu’à la pose effective de la 1ère pierre du jardin créole et de l’aire de détente. Ce projet devrait être « hébergé » dans un premier temps par l’AMPI, mon employeur, qui est une association de loi 1901. Ensuite, la forme juridique pourrait alors évoluer. Tout dépend de la dynamique enclenchée et de son évolution.
Le projet a plusieurs ambitions. D’une part, pouvoir améliorer le bien-être au travail dans les structures qui possèdent du foncier et sensibiliser à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. D’autre part, renouer avec la nature généreuse de la Martinique, nos jardins traditionnels encore omniprésents à l’époque de nos grands-parents, et avec une relation plus saine à la nutrition.
En réalité j’ai toujours été très sensible à la préservation de la nature, et au-delà de ma sensibilité naturelle, à mon retour à la Martinique, j’ai été confrontée à la dégradation de l’île, aux taux de pollution de l’air, et à la présence prégnante de chlordécone dans nos sols et nos rivières pour des années… A cela, il faut rajouter mon engagement personnel au sein du Rotary Club de Fort de France depuis 6 ans et que je préside cette année, et au sein duquel ces problématiques nous préoccupent également.
Pourquoi votre engagement pour les transitions durables, qu’est-ce qui vous tient à cœur ? Qu’est-ce qui vous a motivé, quel a été votre déclencheur pour ce projet ?
Plusieurs éléments de contexte ont donc forgé ma réflexion : Tout d’abord, la prise de conscience dans la population de l’importance de l’origine des produits que nous consommons (fruits, légumes, viandes, poissons, crustacés…), conséquence de l’impact de la pollution de nos terres en chlordécone ; on estime qu’au moins un tiers de la surface utile agricole serait polluée durant des centaines d’années !
Qui plus est, est venue se rajouter la période de confinement strict des mois de mars-avril- mai avec la diminution du trafic maritime et du fret aérien, qui a mis en lumière notre dépendance encore trop forte en matière alimentaire (entre autres) et l’importance d’avoir des unités de fabrication de produits locaux (alimentation, hygiène, matériaux de construction etc.). On a ainsi vu fleurir un retour vers nos jardins d’antan avec la croissance de ventes en magasins de bricolage et de jardineries.
Ensuite les protocoles sanitaires préconisent des recommandations portant sur l’aération régulière des locaux recevant du public comme ceux privés. Or nos bâtiments tertiaires Outre-mer sont quasi exclusivement orientés vers une climatisation systématique et sont dépourvus de terrasses, balcons et encore moins de jardins et aires de détente. Rares sont ceux dit « bioclimatiques » à date. Et puis parallèlement, les chefs d’entreprise et dirigeants d’institutions publiques se sont retrouvés face à une problématique nouvelle : restaurer la confiance des salariés sur leurs lieux de travail afin de les accueillir à nouveau de manière sécurisée sur le plan sanitaire. Ce qui n’est pas simple et évident dans des endroits fermés et bétonnés.
Autre élément que nous ne devons pas perdre de vue pour autant : la préparation de nos entreprises vers une transition écologique plus importante avec des défis de résilience au changement climatique, de réduction des déchets, de consommation en énergie fossile, d’inclusion, ou de pollution de nos sols.
Avec pour fil rouge, le développement nécessaire de la RSE (responsabilité sociale et environnementale) en Outre-mer. Aujourd’hui, elle est encore émergente. On voit l’introduction d’indicateurs liés au bien-être des salariés, à la capacité des entreprises à coopérer plus intelligemment en matière de contribution à un comportement plus vertueux et respectueux de l’environnement, mais c’est encore une friche. D’où l’idée de relier les deux avec l’intitulé de mon mémoire : Le contexte sanitaire ? Accélérateur de RSE dans les Outre-mer Français : Pour un déploiement « d’aires de détente et de jardins créoles écoresponsables ».
Quelles ont été les étapes suivantes ?
Une fois le contexte posé, il a fallu réfléchir en termes de cibles prioritaires. J’ai décidé de me concentrer dans un premier temps sur les entreprises disposant de foncier et de proposer des aires de détente aménageables en jardins créoles à destination des salariés – d’une superficie pouvant varier de 250, 500 à 1000m2 et plus si elles le peuvent.
Ces « aires de détente et jardins créoles écoresponsables » proposeraient des arbres fruitiers, légumes et plantes aromatiques faciles à faire pousser et entretenir (citron, mangue, prune de Cythère, orange, goyave, plant de canne, citronnelle, menthe brisée, et autres aromatiques et medicinales, christophine, igname, tomate…). En fonction du lieu et de la nature du terrain.
Le budget de départ du jardin stricto sensus (hors carbet) varie entre 3000 et 7000€ avec des fruitiers de taille moyenne de façon à obtenir une récolte rapide (entretien exclus).
Bien évidemment, un jardin écoresponsable fait appel :
– Au recyclage des déchets vers la fabrication de compost
– A la récupération de l’eau de pluie afin de favoriser l’arrosage et drainer les sols
– A l’utilisation d’engrais naturels non chimiques.
A moyen terme, il s’agira d’intéresser les promoteurs et les syndics immobiliers, les bailleurs sociaux et les communes bien sûr. Ces deux derniers ayant en charge l’entretien des espaces verts.Enfin à terme, il n’est pas exclu de créer un atelier d’insertion avec le CFA agricole et Pôle Emploi pour l’entretien qui serait adossé à une entreprise du secteur déjà bien implantée.
Ce projet dans son ensemble peut être un véritable levier de bien-être pour tout le territoire. Vous imaginez aller à votre travail et en revenir avec des fruits, légumes ou plantes aromatiques provenant d’une agriculture écoresponsable ? Qui pourrait refuser cela ?
Quels sont les défis que vous rencontrez ?
Le co-financement et l’accompagnement.
Le projet intéresse beaucoup. Les premiers entretiens sont très encourageants y compris auprès des entreprises de l’AMPI. Des entreprises ont déjà manifesté un intérêt pour la démarche. Certaines de nos distilleries, EDF, SARA, entre autres parmi les premières.
Je suis également convaincue que ce projet ne peut évidemment que rencontrer une forte adhésion auprès des salariés, sur la base de quelques entretiens qualitatifs que j’ai d’ores et déjà pu effectuer.
Il faut pouvoir trouver un levier de financement incitatif de façon à convaincre les chefs d’entreprise de relever ce défi de la transition sociale et écologique.
Différents partenaires possibles sont en train d’être contactés (CTM, DAAF, Office Français de la Biodiversité, ADEME, CREDIT AGRICOLE, BRED…).
De quelle façon Mouv’outremer vous a aidé à le porter, le développer et à répondre à ces défis?
Sur le plan des cofinancements tout d’abord. Mouv’Outremer s’est trouvé être un formidable facilitateur de rencontres avec les interlocuteurs idoines. C’est un gain de temps considérable. C’est aussi une caution de savoir que ce programme de formation est proposé par le Ministère de l’Outre-mer et développé par l’Agence Française de Développement. Le Président de la République a adressé un message fort lors du lancement du programme le 8 avril 2019. Nous savons que les projets validés sur le papier sont scrutés et seront accompagnés d’une façon ou d’une autre. C’est plutôt rassurant et nous avançons en confiance. La dynamique enclenchée dispose de tous les ingrédients pour générer de véritables projets participant au développement du territoire et à sa transition écologique.
Les outils et ressources offerts par la formation pendant ces 4 mois et l’élan collectif suscité au sein de la communauté des apprenants et formateurs sont vraiment un gage de qualité et nous arment pour les prochaines étapes de nos projets.
Un ou des apprentissages sur le parcours Mouv’outremer ?
La fertilisation de nos intelligences à travers la diversité des parcours des apprenants du programme : ce sont toutes nos réflexions, nos apprentissages en individuel et en groupes qui nous ont permis d’élaborer, conforter, repositionner parfois, enrichir nos dynamiques de projet, jusqu’à leur maturité et leur viabilité. Au sein du groupe, il y avait différentes maturités de projet, de l’embryonnaire, ou d’idée (c’était mon cas) à celui déjà plus charpenté. Nos projets ont été enrichis au fur et à mesure des semaines et des étapes en particulier celle en présentiel durant 5 jours non-stop à l’Hôtel Batelière à la Martinique, au cours desquels nous avons été sur le terrain à la rencontre d’interlocuteurs, en avons reçu d’autres et avons beaucoup travaillé en mini groupes autour de thématiques, tests de connaissance et de personnalité. Ensuite au cours des mois de novembre et décembre, le travail personnel et les points d’étapes hebdomadaires ont été cruciaux. La rédaction de notre mémoire et sa soutenance ont été les points d’orgue avec des projets beaucoup mieux construits et viables.
Le repérage systémique et la hiérarchisation des publics-cibles sur lesquels se concentrer, en priorité puis de manière graduelle dans le temps, pour optimiser la réussite du projet. Les étapes méthodiques d’avancement du projet furent très formatrices.
Trois choses que vous retenez du parcours ?
1. Les ressources très variées (tant sur le plan du leadership, du management que de la transition écologique) et les méthodologies mises à notre disposition par nos formateurs de Kedge Business School et de Make Sense.
2. La bienveillance des formateurs et leur façon de nous amener à être encore meilleurs et les possibilités de rencontres avec des personnes clés tout au long du programme qui nous ont été offertes.
3. L’entraide et la solidarité entre les apprenants.
Vos attentes/espoirs pour la suite ?
Chaque fois que j’expose le projet, les retours sont très positifs. Il faut un minimum d’ambition et se projeter. J’ai donc très bon espoir qu’une ou plusieurs entreprises s’engagent de façon à poser la première pierre d’une ou de plusieurs « aires de détente et jardins créoles écoresponsables » dans le courant de l’année 2021, en présence du Ministre des Outre-mer.
J’aimerais que via le réseau des MPI, nous puissions décliner ce projet dans les autres régions d’outre-mer, j’ai prévu de m’y rendre personnellement si le contexte sanitaire m’y autorise et j’espère pour cela y être encouragée par l’AFD et le ministère des Outre-mer. Il ne s’agit pas ici d’aide en matière financière (nos projets doivent trouver leurs propres financements), mais d’une sorte de « caution morale » si je puis dire ou une forme de « labellisation Mouv’outremer » dans la mesure où le projet a pris naissance et s’est concrétisé au sein même de la formation portée au départ par l’AFD et le ministère des outre-mer. En ce sens, la formation Mouv’outremer est de facto une sorte de « couveuse de projets porteurs de sens et de développement de nos territoires ».
Que le Président de la République puisse visiter l’un de nos jardins référents quand il viendra à la Martinique, ce qui serait un signal fort tant pour les entreprises et les salariés engagés et une marque de suivi du projet au plus haut niveau. En quelque sorte, une sorte de traduction en acte d’une des volontés politiques reposant sur un concept initial, lequel s’inscrit dans une dynamique de transition écologique et responsabilité sociétale des entreprises en Outre-mer.
Que la communauté des Mouver’s demeure tout aussi solidaire. De vraies amitiés sont nées. Puissent-elles perdurer.
Mouv’outremer en 3 mots :
– Concrétisation de projets
– Réseau
– Solidarité.
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