Interview avec Coraline de Petit Cocotier : “Il faut une diversification des sources pour qu’on puisse gagner plus d’autonomie en Martinique !”
Qui êtes-vous ?
Je suis Coraline Meril, j’ai quitté la Martinique à 20 ans après ma prépa. A la base je suis ingénieure chimiste mais très vite, rester dans un laboratoire ne m’intéressait pas : j’ai donc glissé vers une carrière de commerciale en B2B. Après 8 ans en France, je suis rentrée en Martinique et je me suis reconnectée avec Cédric Colman et André-Judes Cadasse de Petit Cocotier que je connais depuis le lycée.
En novembre 2019, ils ont été lauréat du concours Innovation Outre-Mer Network et ont remporté le prix de la catégorie “développement durable”. Ça a marqué un tournant pour l’entreprise. J’ai rejoint l’équipe pour structurer l’existant et voir comment aller plus loin, en termes d’ingénierie de projets.
C’est quoi Petit Cocotier ?
C’est au départ une histoire familiale : André-Judes et son frère Sébastien ont repris en 2013 la Prairie, la ferme familiale tenue sur 4 générations d’agriculteurs. Ils cultivent la terre avec des pratiques de permaculture et d’agroforesterie inspirées de nos jardins créoles. En 2015, ils proposent des paniers des produits de la ferme en circuits courts. Il existe désormais plus d’une vingtaine de points relais partout sur l’île; en plus de la livraison à domicile.
La promesse ? Manger localement, sainement avec du goût et juste du goût. Il y a une moyenne de 200 paniers par semaine, qui vont dans les foyers Martiniquais. Nous proposons également des œufs frais de nos poules qui gambadent en plein air. Nous proposons à nos clients des visites de la ferme afin qu’ils découvrent notre manière de fonctionner et la richesse de nos écosystèmes martiniquais. Cela permet de mieux comprendre les efforts qui se cachent derrière chaque fruit ou légume cultivé. Par exemple, montrer qu’un ananas, ça prend 13 mois à pousser !
Quels défis liés à l’alimentation avez-vous identifiés sur le territoire ?
Les défis de l’alimentation sont principalement liés à l’Histoire de nos îles : plus de 85% de la biodiversité est entre les deux tropiques. La Martinique est un écrin de biodiversité. Pourtant, entre 60 et 70% de ce que les martiniquais consomment est importé. Ça laisse peu de champs au territoire pour s’auto suffire.. Historiquement, la majorité de l’agriculture est liée au sucre de canne et aux bananes vouées à l’exportation. D’après la chambre de l’agriculture, 200 000 tonnes de bananes récoltées par an contre 14 000 tonnes pour la production locale diversifiée.
Pourtant, ⅔ des Martiniquais veulent consommer local et savoir d’où vient ce qu’ils mangent : mais c’est très difficile. Heureusement il y a des marchés spontanés, qui font partie de notre culture mais il peut y avoir un manque de traçabilité. Sinon c’est la grande surface !
Il y a un vrai enjeu autour de l’ accompagnement du Martiniquais sur sa façon de consommer : rassurer sur la consommation locale, la rendre accessible avec le e-commerce et le circuit court, si le digital n’est pas un frein pour eux.
C’est un défi politique, économique et citoyen : il faut une diversification des sources pour qu’on puisse gagner plus d’autonomie.
Quels sont les écueils dans lesquels ne pas tomber ?
Dans les discours actuels, on entend beaucoup “Il y a eu la monoculture de la banane, c’est la faute des agriculteurs qui ne plantent pas d’autres choses ». En fait, l’agriculteur répond au marché et à une filière bien établie. Les filières monoculturales telles que la banane où la canne sont très bien intégrées dans un système d’aide et de commercialisation à 100%.
Aujourd’hui un agriculteur qui récolte 1 tonne de banane va toucher une aide importante de l’Etat, avec la garantie que toute sa production sera prise en charge; même par un suivi technique. Si un agriculteur fait l’effort de la diversité, l’aide est vraiment moindre et il reste livré à lui-même pour la commercialisation de ses cultures: il va devoir faire les marchés ou trouver un intermédiaire qui fera le marché pour lui. Tout cela est très peu sécurisant, d’autant qu’il y a souvent nos aléas climatiques ( cyclones, sécheresses…) dont il faut tenir compte.
Aujourd’hui on s’intéresse au bio, aux exigences des consommateurs. On va alors demander à l’agriculteur d’être un commercial, un marketeur, un comptable, sans garantir un retour financier sur ce qu’il plantera. Si demain je fais le choix de planter des goyaves, je dois m’assurer que des clients vont me les acheter sans que je fasse une page internet et beaucoup de communication pour cela.
L’enjeu côté production est donc de faciliter le quotidien des agriculteurs pour qu’ils se concentrent sur ce qu’ils aiment faire : cultiver nos paysages.
Quels sont les leviers sur lesquels on peut s’appuyer pour développer une agriculture plus durable ?
Réduire la chaîne entre le consommateur et l’agriculteur en assurant, ce que Sébastien appelle, une transition de garantie. En réduisant la chaîne, nous partageons mieux le risque et comprenons mieux les réalités agricoles afin de mieux garantir à nos agriculteurs une source de revenue fiable.
Nous avons organisé un atelier d’intelligence collective en juillet 2020 en réunissant des restaurateurs, des agriculteurs et des consommateurs. Ce qui en est ressorti ? “on veut plus de proximité, plus de transparence, plus de cohérence” . Il y a vraiment un souhait de faire rencontrer consommateurs et agriculteurs.
Le marketing, adapté à nos spécificités locales pour embarquer plus de monde ; redonner du pouvoir au consommateur à condition qu’il comprenne également la responsabilité qu’il détient au bout de sa fourchette. On utilise notamment le digital pour communiquer et faire passer nos messages.
La technologie : au-delà de l’e-commerce, le digital peut être un vrai soutien quotidien. Nous souhaitons mettre à disposition des outils d’aide à la décision agricole, pour capter des données qualifiées sur des méthodes adaptées à nos réalités locales.
Et enfin, faire tout ça avec plaisir !
Qu’est ce que vous a apporté la formation Mouv’Outremer ?
Participer au programme Mouv’Outremer nous a permis de mettre à jour nos connaissances sur le Développement Durable et nous a rassuré sur nos hypothèses. On s’est senti aussi moins seuls. On a directement mis les mains dans le cambouis pour valider des hypothèses sans attendre la solution finale ! Et surtout rencontrer de nouvelles personnes avec la même envie de participer au développement de nos territoires.
Sur l’idée d’outiller des terrains avec des capteurs: j’ai la sensation que c’est un parti pris à mettre en avant : en parlant avec certains acteurs d’EPCI ou des spécialistes de la biodiversité de guyane, je me suis rendue compte que c’était aussi leur souhait d’avoir des données qualifiées, des chiffres qui confirment des méthodes d’agriculture. On va donc lancer notre premier hectare connecté en 2021. Je n’aurais pas pu aller aussi loin sans la formation.
C’est quoi les prochaines étapes ?
La 2e partie c’est le POC (Proof of Concept). Il va falloir challenger la cible, le parcours client, nous forcer à prendre le temps de le faire. Au début, on s’est dit : on va partir avec un gros budget. Avec la formation, on s’est rendu compte que commencer petit, avec un simple groupe whatsapp, permettait de valider nos hypothèses. L’essentiel est d’aller cibler les agriculteurs et solutionner des “pains points”, avec une personne pour animer la communauté.
Comments are closed.